Littérature de l’imaginaire et altérité

Gros fan de science fiction et de fantastique depuis mon plus jeune age, j'ai été bercé très majoritairement par la production littéraire d'hommes blancs et anglo-saxons, souvent d'un certain age, voire morts de longue date : H. P. Lovecraft, Richard Matheson, Poul Anderson, P. K. Dick, Tim Powers et des tonnes d'autres. Les exceptions dans ce qui fut mon "corpus fondateur" se comptent sur les doigts d'une main (Kage Baker, Connie Willis et quelques autres). C'est ainsi qu'on construit un regard sur le monde qui contient ses propres limites.
Heureusement, depuis quelques années les voix de l'altérité sont un peu plus fortes chaque jour, peut être grace à leur fédération au travers des réseaux sociaux. La visibilité internationale des mouvements #Meetoo et "Black Lives Matter" en 2017 et 2020 m'a cueilli au bon moment. Travailler dans une Université de Sciences Humaines et Sociales aide aussi pas mal à réviser son regard sur le monde mais tout ça n'aurait peut être pas donné grand chose si autour de la même période un ami ne m'avait fortement encouragé à lire Les Livres de la Terre fracturée de N. K. Jemisin.
Cette trilogie a été une révélation pour moi. Jemisin n'y fait pas grand cas de la couleur de peau des personnages. Elle est mentionnée en de rares occasions et sans insistance, si bien qu'un lecteur blanc comme moi peut assez facilement passer une bonne partie de l'histoire à se représenter des personnages qui lui ressemblent, pour se voir rappeler quelques centaines de pages plus loin que non, la plupart ne sont pas blancs. Comme Jemisin fait le coup plusieurs fois je suis passé de "ha tiens, j'avais pas fait attention" à "mais c'est quoi mon problème, là ?". Ce début de prise de conscience s'est accompagné d'un flash back d'une myriade de choses lues ou entendues sur la représentation et l'invisibilisation, que j'avais comprises sur le plan intellectuel sans les avoir vraiment intégrées. L'autrice m'a transmis au travers de ces romans l'impulsion nécessaire pour intégrer réellement ces problématiques.

Comme cette trilogie est une réussite flamboyante, il m'en fallait encore. J'ai donc attaqué Genèse de la Cité, premier tome de la trilogie Mégapoles. Cette fois, Jemisin retourne totalement son procédé narratif : elle s'appuie avec insistance, page après page, sur la couleur, l'origine, l'orientation sexuelle, etc. de ses personnages pour plonger le lecteur dans la représentation du monde qu'elle a décidée, et pas une autre. Elle en profite pour se payer une tranche de Lovecraft à mi-chemin entre la critique bien sentie et l'hommage, c'est assez jubilatoire.

D'autres autrices contemporaines sont aussi fer de lance d'une certaine altérité. Au nombre de mes lectures on trouvera Binti, premier tome d'une série de SF écrite par Nnedi Okorafor (rattaché au courant Afrofuturisme). La série de romans Les Voyageurs de Becky Chambers offre une SF féministe, à la limite du Space Opera par moment, qui prone l'acceptation et la reconnaissance avec une teinte LGBTQIA+.

On trouve aussi des autrices françaises sur ce terrain comme Sabrina Calvo ou, un peu plus loin, Maïa Mazaurette, mais ces deux-là méritent un article à part.

À suivre.

Related posts

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.