Littérature de l’imaginaire et altérité (2)

Dans un article précédent, j'ai abordé l'altérité au travers des textes de Jemisin, Okorafor ou Chambers. Il existe une autre forme d'altérité : la jeunesse. Si on s'intéresse un peu à la question, on s'aperçoit que la jeunesse est confrontée aux mêmes traitements et discriminations que les femmes dans les sociétés inégalitaires. Finalement, pour une société patriarcale, le jeune est un «autre» qui ne mérite pas sa voix au chapitre. La jeunesse est une population dont il faut freiner les instincts, qu'il faut domestiquer, remodeler à son image pour se perpétuer soi-même.
On trouve dans la littérature de nombreux textes qui abordent l'opposition entre la jeunesse et un certain ordre établi ou le remplacement des vieux par les jeunes. Je vais légèrement forcer le trait ici : pour ma part le roman Je suis une légende de l'auteur Richard Matheson en est un parfait exemple. Remanié dans une version contemporaine il pourrait très bien être intitulé Je suis un Boomer : un héros vieillissant et de plus en plus isolé, lutte pour sa survie dans un monde qui évolue inexorablement. À la fin, il meurt, effacé par la nouvelle génération. Cette interprétation fonctionne parfaitement avec le roman original, et il est assez remarquable que la dernière version produite par Hollywood nous donne un film qui raconte exactement l'inverse. Le héros, incarné par Will Smith, n'est pas si isolé que cela et, surtout, il semble avoir fait la découverte nécessaire pour renverser la situation et rétablir l'ordre initial : la société des Boomers est sauvée.
Dans un certain sens, le roman de Maïa Mazaurette Rien ne nous survivra : le pire est avenir pourrait être vu comme une sorte de prequel à Je suis une légende, mais vu de l'autre bord. L'autrice y présente la lutte désespérée de la jeunesse pour prendre — les armes à la main — sa place dans un monde de vieux. Les vieux doivent mourir, il n’y a pas d’alternative. Mazaurette y décrit le sentiment d'urgence pour la jeunesse de vivre pleinement sa vie, sans se la voir dictée par les vieux. Tout y est poussé à l'extrême, rendu viscéral. D'une violence parfois inouïe, ce roman m'a fait m'interroger sur ce qui peut pousser la jeunesse à une telle révolte, sur ce qui, dans nos sociétés, dysfonctionne à ce point.

Dans un style très différent, les romans de Sabrina Calvo Toxoplasma et, surtout, Melmoth furieux mettent aussi à l'honneur la jeunesse. Elle y établit clairement qu'un jeune — voire un enfant — n'est pas un personnage secondaire, c'est une personne entière avec laquelle il faut compter et qu'il faut accompagner plutôt que forcer dans un moule. Suivre plutôt que guider, le droit à l'autodétermination est au cœur des préoccupations de l'autrice dont les deux romans se déroulent dans une Commune assiégée. Contrairement à Mazaurette, Calvo n’oppose pas les âges, les générations. Son style est aussi positif, enjoué, porteur d'espoir : tout l'inverse du roman de Mazaurette. Les deux autrices se rejoignent dans la manière dont les candidats à l'autodétermination se retrouvent oppressés, harcelés, éliminés par les représentants d’un l'ordre établi.

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