Les gens comme moi, qui utilisent internet depuis dix ans ou plus, savent en général assez bien se débrouiller avec une URL. Quoi ? il y aurait des gens qui ne savent pas utiliser une URL ? Oui, plein.
Il y a en effet une partie assez importante de la population des utilisateurs quotidiens d'internet qui est incapable d'exploiter réellement une URL. Pour ces gens, les enchaînements de http, de slash, de points, de www ou de pas www sont tout simplement incompréhensibles, trop complexes. Ma génération, comme celle qui la précède, pensait que les jeunes naissant dans un monde connecté, avec un chauffe biberon USB pour nourrice, deviendraient des super-pro des réseaux. En réalité il faut bien se rendre à l'évidence : on en est loin, et on n'en prend même pas la direction.
La volonté de se simplifier la vie, et de masquer la complication aux utilisateurs est un aspect important du développement de nos sociétés. Autrefois, pour accéder à un site web, il fallait connaître son adresse. Maintenant, les moteurs de recherche vous évitent cette peine.
Il y a quelques temps, j'ai eu l'occasion de donner quelques cours de TICE en première année de licence (bac+1 donc). J'ai pu me livrer à quelques expériences qui parlent d'elles-même, jugez plutôt.
La première expérience est absolument navrante : dites à ces chères têtes blondes d'aller sur le site d'une grosse entreprise française comme par exemple TF1 (je ne les aime pas, mais l'exemple est probant). 100% des étudiants qui sont parvenus à ouvrir une fenêtre de navigateur tapent simplement "TF1" dans le moteur de recherche par défaut. Ensuite, dans la majorité des cas ils attrapent leur souris, et cliquent sur le premier lien dans les résultats de recherche. À aucun moment il ne leur viendra à l'esprit de saisir directement "tf1.fr" dans la barre d'adresse de leur navigateur. Comme si taper quelque chose dans ce champs était tabou, interdit, sale.
Alors pour les obliger un peu à s'approprier l'URL d'un document, j'ai fait un second test : j'ai envoyé à l'ensemble de mon groupe un email avec une URL suffisamment longue pour être sûr qu'elle soit coupée dans l'affichage de leur webmail. Je les ai ensuite mis au défi d'afficher le document. Le plus rapide a mis une bonne poignée de minutes à afficher pont_1.jpg. Bien qu'ayant déjà revu mes exigences à la baisse j'ai poursuivi l'exercice en leur demandant d'essayer de tirer quelque chose de l'URL fonctionnelle qu'ils avaient reconstituée. Il s'agissait de faire preuve d'un peu de curiosité et de remplacer "pont_1.jpg" par "pont_2.jpg". Insurmontable, sauf pour 2 ou 3 étudiants sur 24. C'est pathétique, mais c'est de cela qu'est fait notre monde.
Rien n'encourage les utilisateurs à s'intéresser aux adresses des documents qu'ils téléchargent. Notamment, les navigateurs s'ouvrent presque tous par défaut sur un moteur de recherche. Le Japon est intéressant à cet égard, car il est dans une position privilégiée pour accélérer la disparition des URL au profit des mots clés de recherche. Pour commencer, l'implémentation d'un système mondial de DNS au format international n'est pas encore pour demain, donc l'internaute japonais doit se frotter à des URL écrites en alphabet latin. Si http://www.monsite.com/ a un peu de sens pour nous, pour le nippon moyen c'est bien moins évident. Ensuite, les japonais sont très nombreux à surfer sur des équipements mobiles, en général leur téléphone portable.
Si vous avez déjà tenté de taper une URL dans le navigateur d'un téléphone, vous savez à quel point c'est pénible. Il est évident, dans ce contexte, qu'un mot clé tapé dans sa langue maternelle, ou une image Datamatrix ou QR capturée via l'appareil photo de votre téléphone, remplacent avantageusement une URL interminable. Ainsi, au Japon, vous ne voyez plus d'URL sur les publicités, mais uniquement des propositions de mots clés à taper dans votre moteur de recherche par défaut, ou des images codées à scanner avec votre téléphone. Le mot clé est bien plus facile à mémoriser qu'une adresse de site web, et l'image codée peut être photographiée immédiatement par votre téléphone.
Cette évolution va forcément gagner le reste du monde, ne serait-ce qu'à cause des impératifs de la navigation sur téléphone. Pour les abonnés historiques d'AOL ce remplacement des URL par des mots clés a un petit goût de déjà-vu. Quant aux utilisateurs de navigateurs récents comme Safari 4, ils peuvent déjà mesurer la manière dont Apple met les URL en retrait par rapport au contenu, comme sur cette capture d'écran montrant le fonctionnement de la barre d'adresse de Safari/419.3 (2.x) en haut et de Safari/530.17 (4.0) en bas.
